« La vie est ténèbres et lumière, Les aveugles ne sont-ils donc qu’à moitié vivants ? »
Toute la journée avait passé depuis leur départ d’Aguni, et la nuit tombée depuis une heure était à peine éclairée par l’astre lunaire. Les deux voyageurs avaient marché n’affrontant rien de plus désagréable que le vent. Un vent violent chargé d’humidité. Les contours d’Alinoa étaient enfin en vue tandis que leur corps trempé, exténué et affamé réclamait que l’on prenne soin de lui.
Encore un peu de temps, de patience et de persévérance, et l’entrée de la ville était devant eux. L’obscurité la rendait d’autant plus visible que des lanternes y étaient installées. Havre de lumière au milieu de la nuit et des ténèbres. La présence d’une telle clarté, promesse de chaleur, rappela à leur mauvais souvenir la fraîcheur du temps, et son humidité. Ils resserrèrent dans un vain espoir pour se réchauffer leur cape trempée.
Kaito ne les voyait pas encore, mais il savait que des personnes étaient assignées à la surveillance des portes de la ville. Il savait encore moins leur nombre et leurs intentions. Il savait seulement qu’il avait quitté, fui plus exactement, le monastère d’Alinoa et qu’il devait être recherché pour cela.
Il continua à progresser en direction de la lumière tout en dissimulant son trouble. Ténébreuse-Chevelure avait cependant perçu la confusion mentale de Kaito car ce dernier avait inconsciemment tendu ses muscles. Mais, elle ne fit rien. Son rôle était de le protéger d’autrui, pas de ses propres pensées.
Enfin, ils atteignirent le havre de lumière. Le visage ingrat du borgne fut révélé à la lueur pâle, et pourtant aveuglante, des lanternes. Il ferma son œil valide pour éviter l’éblouissement. Ce qui fit qu’il resta quelques secondes aveugle. Aveugle aux réactions des gardes qu’il imagina s’approcher de lui pour l’arrêter.
Durant son apprentissage, il avait entendu nombre de rumeurs concernant ce qui arrivait aux Novices, Disciples, Frères et surtout aux Maîtres qui s’enfuyaient. Aucune n’était très réjouissante. On parlait de mort, et même pire. Kaito n’avait pas une très bonne imagination, mais il était tout de même capable de concevoir des choses pires que la mort. La vie en étant une. La crainte que les gardes soient en train de s’approcher pour l’interpeller, l’ayant reconnu, lui fit rouvrir l’œil.
Mais, il ne s’était rien passé. Les hommes, que Kaito compta au nombre de trois, n’avaient pas bougé. Le court instant, qui lui avait paru plus long qu’en réalité, avait permis à son œil de s’accommoder de l’éclairage. Il n’y voyait pas très bien, était encore légèrement ébloui, mais cela allait.
Quelques pas de plus, et il fut capable de distinguer le visage du premier homme. La trentaine, mal rasé, un manque de sommeil évident, des yeux sombres, le nez contusionné et de courts cheveux noirs. Puis, une pensée lui traversa l’esprit, s’il avait vu si bien, il devait être visible. Il espéra alors ne pas avoir été reconnu.
« Kaito ! »
L’appelé se figea. Ce qu’il avait craint venait de se produire. On l’avait reconnu. Il n’eut le temps de réagir qu’on lui sauta dessus. Par derrière. Un bras passa autour de son cou. La surprise et le poids le firent ployer mais il ne tomba pas.
« Kaito ! Comment ça va ? »
La surprise passée, il reconnut la voix ainsi que la manière de saluer. Il s’agissait de son ami, Daichi.