Finalement j'avais posé un gros lapin au Capitaine et à ma nièce, mais j'avais envoyé un messager les prévenir que je restais au château ce soir et que dame En'Ichi les invitait à nous y rejoindre plus tard dans la soirée. Je voyais d'ici le capitaine bougonner et la ma nièce lui dire qu'après tout j'avais le droit de m'accorder un peu de temps libre. Cela me fit sourire.

Nous étions assis dans une pièce des appartements privés d'Hanayo. Celle où elle prenait ses repas lorsqu'elle ne recevait pas des officiels. Elle était très agréable et donnait sur un balcon duquel on pouvait contempler les feux de la ville.

La table était garnie de quelques plats simples en quantités suffisante pour deux. Hanayo était un modèle de modestie. Elle mettait un point d'honneur à ne pas trop dépenser pour son plaisir alors qu'elle savait sa population souffrante, elle préférait acheter et distribuer du riz que de reprendre trois fois d'un plat, et ce soir le repas était simple : onigiri, ebi yakisoba et yatsuhashi. Un repas simple, sans faste mais préparé par d'excellents cuisiniers (et cuisinières). Et puis je n'étais pas là pour manger mais pour voir cette femme qui avait ravis mon cœur.

- Tu sais Hanayo, j'aime venir te voir car c'est toujours simple et je peux profiter de ta présence sans parure ni cérémoniel. Tu es bien la seule daimyo avec qui je peux manger des onigiri en tête à tête.

Je lui souris et tendis la main pour lui caresser la joue. Je me demandais si nous allions devoir jouer ce petit jeu toute notre vie... Quelle situation impossible... Il me tardait de la prendre pour femme, de l'épouser et de vivre sous le même toit ! Les daimyo n'étaient pas encore prêt à accepter ça... avec du temps et de la patience nos projets se réaliseraient.

- Tu diras à tes cuisiniers que les yakisoba sont meilleurs ici qu'à Sikaiddo ! Peut être que la compagnie m'est aussi plus agréable que par chez moi... Clin d’œil complice.

Bien évidemment j'avais réussi à faire rester Shotam pour le repas. Folle de joie, j'avais demandé un repas de fête : Onigiri en entrée, Ebi Yakisoba en plat et Yatsushi en dessert. Oui bon c'était un repas de fête pour l'époque. Mais je savais qu'il apprécierait tout de même cette cuisine.

J'avais demandé à ce qu'on apporte le repas dans mes appartements privés comme je le faisais toujours lorsque Shotam venait diner. Et puis c'était là où il se sentait le mieux lorsqu'il était en voyage. Il était vrai que cette partie salle à manger était décorée selon mon goût et elle tranchait réellement avec le reste du château qui se trouvait être légèrement austère. Des couleurs chaudes telles que le rouge, l'orange, le jaune canari et une touche marron chocolat par-ci par-là venaient égayer les murs blanc. J'aimais particulièrement cette pièce pour son petit balcon donnant sur la ville.

Le repas, comme toujours, avait été réaliser de mains de maîtres et était donc délicieux. Shotam m'en fit d'ailleurs le compliment qui serait rapporté aux cuisiniers.

Il me souris, ce qui en somme faisait déjà chavirer mon coeur, mais ses paroles le firent complètement fondre. Cet homme serait mon mari un jour et rien ne pourrait nous empêcher de réaliser ce vieux rêve. Il me caressa la joue.

- Le compliment est réciproque, les aliments me paraîssent mille fois meilleurs lorsque tu es là mon Shotam... Pourquoi ces vieux schnoques à la tête des autres provinces ne peuvent-ils pas comprendre que c'est l'amour qui nous pousse à vuloir nous unir pour la vie?

Je soupirais. En cet instant, tout était si parfait!

- Précisément parce qu'ils sont vieux ! Ils ont oublié leur folle jeunesse... Mais n'y pensons plus, notre temps viendra !

Je finissais mon dessert et me mis à dévorer une autre douceur : Hanayo. Je plongeai mon regard dans ses grands yeux. Je détaillai son visage, chaque infime petit détail fut passé au crible. Elle était d'une très rare beauté. Le silence ne nous gênait guère et un long moment s'écoula. Elle finit son désert et des servantes virent débarrasser la table basse.

Le repas terminé, je pris sa main et la conduisit sur la terrasse. La ville brillait de mille feux et à cette époque de l'année l'air était doux jusque tard dans la nuit. Nous contemplâmes un moment la ville et petit à petit des musiques et des chants s'élevèrent dans l'air. Une grande fête avait lieu. En arrivant j'étais tellement pressé que je n'avais pas pris le temps de faire attention à ces préparatifs.

- J'étais tellement pressé de te voir que je n'ai même pas fait attention à la fête... Ton peuple célèbre la troisième lune n'est ce pas ?

C'était une des quatre fêtes majeures parmi la foule de célébrations qui rythmaient l'année de Katadomo. Je n'avais pas du tout fait attention à cela et le c'était un pur hasard si j'étais en ville ce soir. Une idée me vient à l'esprit et elle me fit sourire. Hanayo le remarqua de suite.

- Soyons encore plus fou que d'habitude ma douce ! Je lui pris la main et l'emmener à travers ses appartements vers une sortie de service. Je me doutais qu'elle comprenait mon intention et qu'elle était ravie. Ce soir nous allions fêter la nouvelle lune comme n'importe quel habitant de la cité !

Shotam me conduisit sur la balcon. Comme à chaque fois que j'y allais le soir, je ne pouvais m'empêcher de m'émerveiller sur la beauté de la ville au crépuscule. Bientôt la nuit reprendrait ses droits sur la lumière.

Mais ce soir, mon peuple fêtait effectivement la Troisième Lune, symbole de renaissance après l'hiver. Des torches allaient s'allumer partout en ville et les habitants ne se coucheraientt qu'au petit matin. C'était l'une de mes fêtes préférées car lorsque j'étais petite, Juzo et moi nous échappions et nous allions voir les cracheurs de feu, les jongleurs et différents acrobates. Cela faisait une éternité...

Non, plus maintenant que Shotam me guidait vers une sortie de secours. Je savais très bien ce qu'il voulait dire par "Soyons encore plus fou que d'habitude ma douce !". Je savais très bien son envie de sortir faire la fête comme n'importe quel habitant de nos cité respective. Je savais le poids du pouvoir comme lui et nous étions d'autant plus complices que chacun connaissait l'autre par coeur. Je lui passais devant pour mieux l'entrainer vers cette sortie tant attendue.

L'air libre. Rien de plus exaltant qu'une escapade amoureuse. Traversant quelques ruelles, nous croisâmes toute sorte d'individus costumés : l'un tel un feu follet, un autre portant un masque représentant un dragon de feu, un suivant tout rouge tapait joyeusement sur son ikko, un petit tambour ornementé.

Plus nous avancions et plus nous rencontrions de monde. Mais tous convergaient vers un seul point : la place centrale de la ville où la fête battait déjà son plein. La musique augmentait à chaque pas, le brouhaha de la foule, la senteur des feux d'artifices, tout cela me prenais à la gorge me rappelant l'insouciance de mon enfance.

Puis enfin, la place...

Pris par l'ivresse festive et l'ambiance de la ville nous courûmes jusqu'à la grande place de Katadomo. C'était une immense esplanade rectangulaire où, ce soir, se massait toute la population de la cité. Tout autour se trouvaient les bâtiments de l'administration, de vastes complexes remplis de tous les fonctionnaires de la province. Mais ce soir ils avaient accroché aux murs d'énormes lanternes multicolores. La place rayonnait de mille feux !

Au dessus de la foule en liesse voletaient des ballons de papier blanc qu'une bougie entrainait vers le ciel. Ils étaient retenus par des filins et créaient au dessus de la place une constellation de grosses boules pâles. La tradition voulait qu'au milieu de la nuit, ou plutôt au summum de la fête on lâchât tous les ballons vers le ciel. Dans mon souvenir c'était un spectacle d'une rare beauté. Habituellement le vent les poussait vers la mers. Les gens courraient alors vers le port pour admirer le nuage de lucioles volait paisiblement vers le nord. Mais l'heure était encore aux spectacles et à l'ivresse.

Hanayo se tenait droite et belle comme à son habitude. Si ce n'était son port de dame personne ne pouvait se douter que la daimyo était parmi eux. Encore moins son amant, le daimyo de Sikaiddo. L'idée me fit sourire.

Nous étions à peine arrivés sur la place que le mouvement de la foule nous pressa plus avant. Ainsi nous nous retrouvâmes au premier rang d'une foule qui admirait des adepte de l'Ordre qui jouaient avec le feu comme des enfants avec un énorme ballon de flammes. Ils avaient revêtit leurs habits d’apparat et évoluaient avec grâce s'échangeant traits et boules de feu avec aisance. Soudain dans un bel ensemble ils s'immobilisèrent et toute flamme disparue. La foule fit par de sa surprise avec un "oooh" unanimement partagé. Toujours dansant, les jeunes adeptes se rangèrent en deux colonnes face à face. Celui qui semblait être leur aîné alla se placer à une extrémité des colonnes. Devant lui, au sol, quelques braises. Tous entamèrent un chant, profond et grave. La foule se tut saisie par la solennité du moment.

Les braises se mirent à étinceler et à luire d'un feu étrange, bleuté. La magie dans l'air était presque palpable. La trentaine d'adeptes étaient en train de créer un sortilèges particulièrement puissant. Soudain éclata un coup de tonnerre et des braises jaillirent mille feux de couleurs variées et éblouissantes ! Elles s'élevèrent dans le ciel et commencèrent à se rassembler pour former un amas difforme. Le chant des adeptes se tut et la masse de flammes coula lentement vers le sol. Il y eu comme un flottement, comme un suspens puis tout éclata ! Des milliers de petits feux en forme d'oiseaux furent projetés vers le ciel et brillèrent encore quelques longues minutes avant de disparaitre. Tout le monde les regardaient, ébahi.

Le plus vieux des adeptes s'avança alors vers nous, passant entre les rangs de ses camarades. Il regardait Hanayo avec une sorte d'admiration mêlée de joie. Arrivée devant nous, il s'agenouilla et fixant le sol déclara d'une voix clair :

- Dame Hanayo En'Ichi, c'est un immense honneur que de vous voir parmi nous ce soir. Il semblait ému. Merci d'être venu voir notre spectacle. Emu jusqu'aux larmes, voila quel effet la dame Hanayo En'Ichi pouvait faire à son peuple. Les gens autour de nous qui comprenant peu à peu la situation finirent par s'agenouiller devant elle et bientôt nous nous retrouvions debout au milieu d'une place entièrement prosternée. Pour une visite secrète je m'étais bien fait avoir.