J'étais parti de Sikaiddo quatre jours plus tôt. Seuls le Capitaine et ma nièce, Chusonji Lula m'avaient accompagné pour cette visite non officielle à la daimyo de Katadomo. Quatre jours et quatre nuits de voyage sur un navire marchand tout ce qu'il y a de plus banale nous avait conduit d'une île à l'autre.

Vers la mi-journée nous arrivâmes en vue des côtes de Katadomo et trois heures plus tard nous entrions dans le port magnifique de la cité. Notre bateau s’amarra le long d'un quais étroit. Tout de suite, des journaliers virent se faire engagé pour le débarquement de la marchandise. Le capitaine du navire et quelques matelots (usant parfois du poing) continrent l'attroupement qui s'était formé et engagèrent les plus vaillants.

Pendant ce temps nous débarquâmes et prirent sans tarder la direction du palais. Nous ne nous y rendîmes pas à pied cependant. Nous dûmes débourser deux litangs pour trois sur une petite barque étroite mais très longue. Le capitaine du frêle esquif manœuvra avec savoir faire dans la foule d’embarcation qui encombrait les canaux et en moins de deux nous arrivâmes au Rocher du Palais. Pour son service de qualité je lui laissait une pièce supplémentaire. Une pièce frappée à l'effigie des En'Ichi. Je ne payais pas avec des pièces de Sikkaido car j'avais horreur de passer pour un étranger. Déjà mon accent de l'est me trahissait, il n'était pas nécessaire que mon argent attire les questions.

C'est sur cet îlot ridiculement petit que fut bâtit, il y a des siècles surement, le palais de Katadomo. Une haute forteresse de pierre volcanique dont l'accès était strictement gardé. Nous débarquâmes sur une placette minuscule.

- Lula, je te confie le Capitaine, fait bien attention à lui et surtout ne vous perdez pas. On se retrouve en fin de journée au Dragon Frileux. J'étais de particulièrement bonne humeur. Je donnais quarante Litangs à ma nièce et lui déposait un baiser sur le front. Essayes de ne pas tout claquer en vêtement ma petite ! Elle me tua du regard, comme le Capitaine d'ailleurs, et je partis, tout sourire vers la porte du palais. J'arrivai rapidement devant les gardes.

- Annonce ma venue à dame En'Ichi, je suis pressé d'entrer ! Le garde me dévisagea, il était jeune et surement nouveau. Je ne suis pas armé et généralement bienvenue ici alors ne tardez pas à me faire entrer jeune homme ! J'usai de mon autorité pour le faire presser le pas et j'attendai que l'on revienne m'ouvrir la porte.

J'examinais un papier délivrant un compte-rendu du marché flottant trimestriel, assise à mon bureau dans l'aile est de la demeure En'Ichi, lorsque Juzo vint frapper à ma porte.

- Entre Juzo. Que t'arrive-t-il?

Je levais les yeux du document et le dévisageais. Depuis quelques jours, il n'avait pas très bonne mine : son teint était cendreux et de grosses cernes barraient ses jolis yeux gris. Je comprenais cela, il n'arrêtait pas de courir à droite et à gauche pour porter à temps des missives urgentes sur les cultures trop irriguées.

- Monsieur Chusonji vous demandes à la porte ouest. Il m'a pratiquement renvoyé comme si j'étais votre larbin ma Dame!

- Hum, je vois. Pardonne-le, il est quelque peu ignorant de ton statut et ce que tu fais pour moi.

Je ne souhaitais pas une escarmouche entre mon garde du corps et Shotam, ne sachant pas comment ça pourrait finir. Je me relevais de mon siège et sortis. Juzo m'emboita le pas le long du couloir menant à l'aile ouest puis dans l'escalier qui descendait vers la port où m'attendais le Daimyo de Sikaiddo.

La porte s'ouvrit, me dévoilant aux yeux de ce jeune maître. Je portais un yukata de soie blanche et brodé de fil doré retraçant un vol d'hérons ainsi que le traditionnel Okan était posé dans mes cheveux. Je souris devant le visage familier du jeune homme.

- Bonjour Shotam! Que me vaut le plaisir de ta visite dans mon humble demeure?

Ces traits fins d'une pâleur extrême et ces yeux verts m'avaient manqué je dois bien l'avouer. Je le regardais de haut en bas, voulant graver pour les prochains jours le visage de cet homme dans ma mémoire. Un sourire éclatant s'épanouissait sur mon visage.

Je n'eus pas longtemps à attendre. Très vite la porte s'ouvrit et je découvrais devant moi, magnifiquement vêtue, Hanayo. Sa beauté m'éblouit à nouveau, elle était jeune et bien plus belle que dans mon souvenir. Sans m'embarrasser du protocole habituel dans ce genre de situation, je l'attirais à moi et la serrais fort dans mes bras.

Ses cheveux finement peignés sentaient bon le jasmin. Elle était plus petite que moi, mais pas tant que ça. Je l'entrainais à l'intérieur pour qu'il n'y ait guère de témoin de cette scène. Par chance il n'y en eut pas. En dehors de ce petit garde aux yeux prétentieux que j'ignorais royalement.

- Bonjour petite fleur ! N’ai-je pas le droit de rendre visite à la plus belle des belles sans me faire annoncer ? Je n'ai guère respecté l'étiquette de notre rang, mais je ne suis pas venu les mains vides Je la regardais dans les yeux, ses magnifiques yeux d'un bleu marin, d'un bleu d'océan calme et envoutant.

Je tirais de ma besace de voyage un pendentif fait d'argent et de saphir que je lui passais au cou, les mains douces et légères sur sa nuque fine.

- J'ai commandé ce collier à un des meilleurs orfèvres de Sikaiddo. Je me reculais d'un demi pas pour contempler la pierre. Elle va magnifiquement bien avec tes yeux ma douce.

Je m'approchais d'elle, tenant son visage dans mes mains et la dévorant du regard, elle était si belle...

Je lui rendis son étreinte et fus ramenée à l'intérieur de mes propres murs sans avoir eu le temps de m'en apercevoir. Certes il n'avait pas besoin d'avoir une raison pour venir me voir et cela me faisait toujours plaisir de l'avoir auprès de moi. Son visage, son sourire et ses yeux... ainsi que ses plaisanteries douteuses! Tout cela me manquais...

Je rougis légèrement lorsqu'il me passa ce magnifique bijou autour du cou tout en me complimentant. Vraiment, il savait s'y prendre pour mettre tout le monde de son côté... Enfin, surtout moi! Je lui souris de ce sourire qu'il adorait tant et que je ne réservais qu'à lui.

Je lui donnais un baiser furtif. Cela était beaucoup trop beau pour qu'il n'ait rien à m'annoncer néanmoins je fis comme si. J'allais le cuisiner une fois mon propre cadeau remis.

- Suis-moi, j'ai également un petit quelque chose pour toi.

Je lui pris la main et l'entrainais en courant le long de différents couloirs, vers l'aile sud de ma demeure. J'étais aux anges, je l'avoue, et sa présence me faisais un bien fou. Arrivée devant une lourde porte, je lui demandais de rester où il se trouvait. J'entrais, farfouillais dans plusieurs gros coffres et trouvais finalement, enveloppé dans une étoffe de soie bleu nuit le fameux présent. Je ressortis toute fière, les mains dans le dos.

- Voilà pour toi!

Il me sourit, prit l'étoffe délicatement et découvrit alors un magnifique poignard en argent finement ciselé. Sa garde portait de beaux entrelacs qui permettaient un bon maintient une fois l'arme en main et donnait à l'ensemble une harmonie quasi-religieuse. Sa lame, bien affutée, faisait une courbe parfaite et paraissait être le prolongement de l'avant bras. Il mesurait environ une trentaine de centimètres.

- Moi aussi, j'ai commandé cela au meilleur artisan de Katadomo. J'espère qu'il te plait! lui dis-je en souriant.

Je pris le cadeau que me tendais Hanayo. Il s'agissait d'une œuvre d'art plus que d'une arme.

- Ma chère que veux tu que je fasse d'un poignard. Tu sais très bien que je ne suis pas dangereux. Je lui souris et l'étreignit encore une fois. Mais très vite mon humeur s'assombrit.

- Je ne suis pas venu que pour l'agrément Hanayo. Des choses plus graves se trament autour de moi, de nous et à travers le Pays de Wa. Je lui souris à nouveau. Non je dramatise. Il faut que je t'explique mieux que ça. Où pouvons nous parler tranquillement ? Je fis un pas vers les appartement de la daimyo puis m'arrêtai net. Je me retournais et la regardai.

- Non Hanayo, cela peut attendre une après midi. Détendons nous au lieu de nous accabler des soucis de ce monde. Offrons nous quelques heures... Y a t-il toujours ces écureuils roux dans ton jardin ? Cette fois-ci je lui pris la main et l'entrainais vers le jardin intérieur du palais.

Nous y arrivâmes très vite. Il s'agissait d'une cour intérieure, aménagée par les femmes de la famille depuis des générations. Contrairement à la plus part des jardins de ce genre, celui-ci laissait pousser librement arbres, fleurs et plantes en tout genre. Cela créait de multiples recoins et petites places très charmantes.

L'eau était omniprésente ici. Un système complexe de canaux, de tuyaux et de pompes donnait des cascades et des petits ruisseaux dans tous les sens. Le plus ingénieux dans ce mécanisme était son auto fonctionnement. Il suffisait de trois hommes pour actionner les pompes de démarrage et une fois mis en branle il pouvait tourner sans s'arrêter pendant presque une semaine. Cela m'avait toujours fasciné.

A cette saison et à cette heure, le jardin rayonnait de beauté. Les rayons du soleil faisait luire l'eau et illuminait les milles couleurs des fleurs. C'était ici que la beauté d'Hanayo m'avait subjugué la première fois il n'y a pas si longtemps que ça...

Je souris devant les réactions de Shotam. Rien ne pouvait se comparer à lui et ses manières parfois abruptes, parfois aussi douce que le miel m'enchantaient. C'était quelqu'un comme lui qu'il me fallait pour m'épanouir. Mais à cause des contraintes dues à nos rangs, cela restait impossible. Néanmoins je profitais de chaque instant en sa présence.

Je couru derrière lui tel deux enfants partant à l'aventure et laissant ma main dans la sienne. J'étais aux anges. Rien ne pouvait me faire plus plaisir que de me retrouver dans ce jardin intérieur où tant de souvenirs y restaient prisonniers. De plus, les écureuils roux étaient les animaux que je préférais, peut-être à cause de leurs insouciances.

Comme à chaque fois que j'entrais dans ce paradis terrestre, la beauté du lieu me coupais le souffle. Les fleurs totalement épanouient, les arbustes déployant fièrement leurs branches couvertes d'une belle toison verte ainsi qu eles quelques canetons qui passaient d'une mare à l'autre en suivant leur mère. On ajoutait à cela les rayons du soleil venant jouer avec la clarté de l'eau et la couleur émeraude qui se dégageait de cet endroit pour parfaire ma journée.

Je me dirigeais vers un petit banc posé tout près d'une étendue d'eau et fis signe à Shotam de venir. Je souriais toujours, comme à chaque fois qu'il réapparaissait dans ma vie. La vie me semblait si paisible à cet instant...

J"étais tiraillé entre le fait que ma visite n'était pas innocente et la beauté de l'instant. D'un côté le fait que des choses très importantes allaient bientôt voir le jour, de l'autre cet instant si parfait... Je ne dis rien et j'allai m'assoir à côté de Hanayo. Je sentais son excitation. Je la comprenais. On ne se voyait pas à moitié aussi souvent que l'on aurait voulu... Mais nous n'avions guère le choix. Peut être un jour, quand les daimyo auront oublié la guerre...

- Penses-tu mon amour qu'un jour nous puissions vivre ensemble ? Quand les vieux daimyo seront enterrés et la guerre oubliée, ils ne verront plus en notre union une alliance de deux puissance contre eux... Saches en tout cas qu'au palais de Sikaiddo, les prétendantes sont nombreuses et elles me lassent de leurs petits jeux et de leurs intrigues... Je caressai son visage, elle avait une peau si parfaite... L'avenir nous le dira...

Je me levais d'un bond et j'attrapais la main de la jeune femme. Bon où se cachent nos petits amis roux ? N'as tu pas quelques choses pour les faire sortir de leur cachette ? Si je me souviens bien ils ne sont plus qu'à moitié sauvages.

J'amenais Hanayo jusqu'à un bosquet, là je la fis s'assoir dans l'herbe. Je fis le tour d'un grand noisetier et collectais quelques uns de ses fruits, les premiers de la saison. Je les cassais avec l'aide de deux pierres, en prenant grand soin de faire du bruit. Je savais ces animaux curieux et très observateur. Je déposais la moitié des noisettes ainsi ouvertes sur une petite pierre plate, au pied de l'arbre et je rejoignis Hanayo dans l'herbe quelque mètres plus loin. Je lui glissai l'autre moitié dans la main.

Nous n'avions pas attendu deux minutes que déjà deux animaux pointaient le bout de leur nez. Les deux, sans doute un mâle et une femelle à voir leur pelage, regardaient alternativement Hanayo et moi, les noisettes. Nous ne bougions pas. Petit à petit, ils descendirent de l'arbre, sans cependant arrêter de nous jeter des coups d’œil.

Je me penchais très doucement vers Hanayo pour lui murmurai à l'oreille. Quand ils auront fini celles là, ils seront sur leur faim, tu leur tendras les tiennes et ils devraient venir jusqu'à nous...

Comme à chaque fois que nous venions ici et que des écureuils sortaient de leurs cachettes, j'étais émerveillée. Ces petits animaux étaient si mignons! Avec leurs doux pelages roux, leurs queues touffues et leurs adorables bouilles. Complètement gaga de ces petites peluche rousses! Et Shotam le savait bien!

Je regardais les deux spécimens s'approcher lentement de la pierre où se trouvait posé les morceaux de noisettes. J'attendis avec impatience qu'ils finissent celles-là pour qu'enfin ils viennent vers nous. Je tournais ma tête vers Shotam, le souvenir de sa caresse sur mon visage me faisant rougir légèrement.

Je souris lorsque je sentis sur ma main une douce caresse. Deux fourrures rousses étaient arrivées jusqu'à nous et avaient pris dans ma mains les deux noisettes que je leurs tendais. Les deux écureuils utilisèrent leurs petits pattes pleines de griffes pour tenir et ainsi déguster ces fruits.

Une fois qu'ils eurent terminés, ils commencèrent à repartir en direction de l'arbre. Je glissais une main dans une de mes poches et en sortis deux amandes éffilées. Je regardais Shotam :

- J'ai toujours quelque chose au cas où je viendrais ici, lui dis-je en souriant.

Nous jouions avec les écureuils depuis un moment et l'après midi touchait à sa fin. Je n'avais pas été aussi bien depuis un temps qui me semblait infini. L'innocence des ces petits animaux m'avait redonné de la force. Mais de sombres pensées trottaient toujours dans un coin de ma tête...

- Te souviens tu de ma nièce Lula ? Elle se trouve en ville avec un... ami à moi disons. Je leur ait donné rendez vous ce soir. J'aimerai parler avec toi de choses importantes. Mais ce soir nous pourrions sortir les rejoindre et oublier un peu nos soucis ?

Je ne voulais pas que cette après midi se termine, mais déjà la nécessité allait me rattraper. J'étais aussi venu chercher mon alliée pour lutter avec moi dans la tourmente à venir...

- Je suis aussi venu en ambassade t'inviter aux fêtes de l'Eau de Sikaiddo ! Je crois que tu n'y es jamais venu et cela vaut le coup ! J'avais un peu honte de lui annoncer comme ça... Certes je l'invitais durant un mois à Sikaiddo mais je nourrissais des arrières pensées...

- Je dois quand même t'avouer quelque chose... Je prépare une réunion secrète de tout mes amis et des puissants du Lotus que je sais fiables. Je prévois de renverser le Lotus actuel... Les fêtes de l'Eau me donne l'occasion de réunir des puissants sans que cela ne se sache... Mais rassures toi, nous pourrons toujours nous échapper incognito pour voir les jongleurs d'eau et les cracheurs d'algues. Je lui souris. Les cracheurs d'algues étaient d'avantage des ingénieurs que des magiciens mais leurs spectacles étaient très amusants. Lors que nous étions enfants, mes frères et moi nous échappions souvent pour les voir. C'était il y a bien longtemps...

Mais avant tout chose je voudrais te demander quelque chose. Est ce que tu te rappelles que je t'aime ? Je me penchais vers elle, la couchant sur l'herbe et l'embrassais.

Le bonheur d'être avec lui et de jouer avec les écureuils s'envola d'un coup. Je le regardais la bouche grande ouverte. Etait-il devenu malade de vouloir renverser l'actuel Lotus? Se rendait-il compte de l'ampleur que cela allait prendre? Meme la joie de pouvoir passer un moment avec lui a la fête de l'Eau ne dissipa que peu mon ébahissement. Il était devenu fou!

Lorsqu'il me coucha dans l'herbe, je ne pus cependant m'empêcher de sourire. Fou ou pas, il restait tout de même mon Shotam.

- Oui je m'en souviens très bien de cela Monsieur Chusonji même si vous êtes tombé sur la tête!

Il rit, de ce rire qui me faisait tant craquer. Je ne pouvais refuser son invitation car je me devais de le soutenir malgré le chemin qu'il décidait de suivre. Je me renfrognais un peu.

- Il faudra tout de même que tu m'expliques ton plan pour cette histoire de réunion secrète et tout le toutim. Tu comprends bien que je ne peux pas impliquer ma ville sans une trèèèès bonne explication!

Le voyant se rembrunir légèrement, je m'en voulu de cette bourde monumentale alors que l'on venait à peine de se retrouver. Je corrigeais le tir du mieux que je pus :

- Tu me parlais de sortir ce soir, j'en serais ravie. lui dis-je dans un murmure, mais pourquoi ne pas laisser ta nièce ici sous la surveillance de Juzo et que nous soyons seuls pour une fois hein?

Je lui lançais un sourire éclatant. Je savais par avance qu'il ne pouvait pas résister et je m'en servais avec plaisir. Rien ne gâcherait nos retrouvailles.